Le surmenage, notre prison des temps modernes

Un phénomène qui se propage

Si nous prenons le temps d’observer notre société et de s’intéresser à notre entourage, nous constatons au fil de nos discussions que le surmenage et le burn-out en résultant sont omniprésents dans les entreprises, semblant devenir notre crise des temps modernes. De nos jours, les conditions de travail deviennent de plus en plus pénibles et inadaptées à nos besoins. La pression constante de l’urgence nous pèse, et nous ne possédons pas d’infinies ressources pour y faire face. On attend de nous de prendre des responsabilités qui ne sont pas les nôtres, afin de s’adapter du mieux possible à la société capitaliste grandissante, dont l’évolution ne s’arrête jamais. C’est ainsi que la valeur du travail se perd, nous détournant de la liberté qu’on était venu toucher du doigt.

Sommes-nous préparés à ça ? Non. Le travail, qui doit être libérateur pour l’humain, selon le philosophe Hegel (voir la dialectique du maître et de l’esclave), est devenu presque destructeur. Certains d’entre nous sont plus ou moins bien armés pour y faire face, mais la plupart s’y perdent et deviennent de potentiels sujets au syndrome d’épuisement professionnel, communément appelé « burn-out ».

La définition initiale du terme « burn-out » appartient au domaine de la physique-chimie. En effet, il signifie « réduction d’un carburant ou d’une substance à néant via son utilisation ou sa combustion ». Cette définition est une belle métaphore pour expliquer la combustion de notre énergie dans le travail.

Quel type de personnes sont touchées ?

Ne pensez jamais que c’est parce que vous êtes touché par l’épuisement professionnel que vous êtes faible. Une faille s’est ouverte en vous et vous avez été rongé de l’intérieur par quelque chose de plus grand que vous. Ceci ne remet pas en cause vos efforts et votre capacité initiale à gérer votre poste. Au contraire, ce sont vos capacités de gestion qui vous ont conduit au surmenage.

Selon le magasine Psychologies, il existe un profil d’employés plus vulnérables que les autres au burn-out :

Le plus souvent, ce sont des personnes très engagées dans leur travail, qui aiment leur entreprise, des personnes « pilier ». Ce sont elles qui subissent le plus les tensions et le stress. Des individus perfectionnistes, en quête de reconnaissance, dévouées à leur société… qui ne comptent ni leurs heures ni leur énergie, et se retrouvent les plus vulnérables face à ce que l’on appelle « la maladie de l’idéalité ».

Dans mon précédent article Que sommes-nous dans l’Univers ?, j’aborde ce sujet du modèle social idéal qui nous pousse inconsciemment à donner le meilleur de nous-mêmes afin d’atteindre des objectifs parfois inatteignables. Dans le travail, cette idéalisation prend un rôle majeur. Le désir de faire bien et notre conscience professionnelle prennent le pas sur tout et nous rendent aveugles. On devient incapable de percevoir nos limites tellement l’on est engagé, et ainsi de détecter que l’on est surmené.

Des conditions et un rythme de travail inadaptés

J’ai souvent l’impression que l’on ne travaille plus uniquement pour vivre, mais également pour se prouver quelque chose. Parfois même, pour oublier ou fuir une réalité que l’on refuse de voir. Le travail a malheureusement pris ce rôle salvateur, et non libérateur, et devient un idéal sur lequel il nous faut nous raccrocher, sinon on tombe. Nous sommes prêts à tout pour atteindre cet idéal dont on pense qu’il nous donnera le statut social et la reconnaissance nécessaires pour vivre.

On se donne des défis, des objectifs, en tentant d’intégrer une structure qui nous correspond. Une fois au sein de cette entreprise, on fait nos preuves, et on gère sans trop de difficultés la dose de travail classique qui nous est attribué.

Puis, grandissant en compétences, on apprend à nous faire confiance, on nous confie beaucoup plus, on compte sur nous. Cela gonfle notre orgueil et nous pousse à poursuivre nos efforts dans cette voie.

Et puis, de temps en temps, la charge de travail s’accroît. On apprends à gérer les urgences parmi nos tâches classiques devenues familières. On s’habitue, et puis on se dit que tant que ça n’augmente pas, on tiendra jusqu’à ce que la vague passe. Nous pourrions en rester là, et la définition du travail libérateur prendrait tout son sens. Nous aurions accompli nos objectifs et aurions appris à être maître de notre travail.

Viens le jour où une pile de travail supplémentaire s’abat sur votre bureau, parce que plusieurs autres clients ont décidé de nous faire confiance, sans augmenter les ressources pour les prendre en charge, ou parce qu’un des postes du département a été supprimé sans être remplacé. C’est là que l’on prend sur soi, sur sa santé, qu’on se lance le défi le plus grand de sa vie. On se sent utile, essentiel, on cherche à prouver qu’on est digne de la personne qui nous a donné sa confiance. On apprend à gérer encore mieux son temps, et on gère, au début. Puis on ne parvient plus à faire notre travail. Notre journée est uniquement construite d’urgences calées entre les emails, les appels téléphoniques et les réunions toutes les cinq minutes. On n’a plus de temps pour soi, on raccourcit sa pause-déjeuner, voire on la supprime, on part plus tard le soir. Quand on rentre chez soi, on programme à la minute près ce qu’on fera le lendemain, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel ; on y pense même en dormant. Et nous n’avons jamais été aussi responsables qu’à ces moments-là. On ne déconnecte jamais, et on ne peut pas, car on croit que l’on est essentiel et irremplaçable. Toujours sur le qui vive, 24h sur 24, l’urgence devient notre mode de vie. C’est alors que nous ne trouvons plus de sens à notre travail, car on se donne corps et âme mais on ne reçoit rien qui puisse alimenter notre soif de reconnaissance. On s’oublie soi-même.

Voilà à quoi ressemblaient mes journées, et celles de beaucoup d’autres. A force de vivre pour son travail et pour les autres, on ne vit plus pour soi. On se forge soi-même une prison dont on ne sort pas, pris dans un cercle vicieux qui nous incite à faire toujours mieux, parce qu’on se sent utile et qu’on trouve un sens à sa vie.

Pour Catherine Vasey, du magasine Psychologies, nos conditions de travail actuelles favorisent la multiplication des cas de burn-out :

Dans notre société, l’hyperactivité est survalorisée. Dès lors, les gens ne sont pas évalués sur les bons critères. On leur demande de faire mille choses à la fois, d’aller le plus vite possible, et avec les nouveaux moyens de communication, de toujours répondre dans les cinq minutes. On les surcharge de travail et d’informations -dont la plupart ne les concernent pas- à gérer. Tout en faisant fi de leur désir d’exécuter un travail de qualité.

Ces conditions de travail sont, bien entendu, à ne pas généraliser. Cependant, dans de plus en plus de structures, on peut largement constater ce type de déviance dans le travail. Les auto-entrepreneurs, les libéraux et les artisans en sont aussi prisonniers malgré eux, dans l’obligation de subvenir à leurs besoins et dans l’impossibilité de déléguer la gestion de leur charge de travail.

Le piège du stress chronique

Ces conditions de travail nous amènent inexorablement vers un stress quotidien et un surmenage inévitable. A l’origine, le stress est bénéfique. Mettant notre corps en condition pour faire face à des situations inhabituelles, il nous sert de tremplin et nous permet de mieux réagir, et ainsi d’accomplir nos tâches dans un laps de temps assez court. Mais il n’est utile que s’il est ponctuel et qu’il finit par s’estomper. Dans les cas où l’urgence et le qui-vive quotidien priment, le stress diminue difficilement, et nous emmène jusqu’au surmenage. Il empêche notre corps de se reposer, même la nuit, et, si l’on n’apprend pas à décrocher, il finit tant bien que mal par nous piéger dans une spirale infernale. Plus de fatigue, plus de mal à réaliser ses tâches, plus de stress, plus de fatigue etc. Ce stress physiologique disparaît complètement 4 heures après être survenu. Si, entre-temps, un événement entraînant un état de stress survient, nous sommes pris au piège. Le schéma peut se répéter inlassablement ; nous faisons alors face à du stress chronique. Ce stress chronique use d’abord notre corps, il est physiologique. Cependant, s’il n’est pas inhibé, la fatigue physique se transforme rapidement en fatigue psychologique et peut nous propulser vers le burn-out.

La descente aux enfers

Ce stress chronique, je l’ai subi, comme beaucoup d’entre vous. La fatigue m’a ensevelie, puis la dépression a pris le dessus. Entre mes sautes d’humeur, l’impression de ne plus rien supporter, ne souhaitant pas m’investir dans les relations sociales, je me suis vue partir. Trop fatiguée, je ne sortais plus. Et puis, mes problèmes de santé, qui étaient déjà présents, se sont accentués. Je prenais de plus en plus de médicaments pour pallier les effets du stress chronique sur mon corps et mon intellect. Je ne dormais plus, et mes insomnies empêchaient mon corps de récupérer. J’étais constamment sur le fil rouge, mais je continuais de me rendre au travail, de plus en plus tard. Quand j’étais en vacances, j’étais malade ; mon corps se relâchait et expulsait ce qu’il n’avait pu expulser pour se maintenir à la hauteur pendant les heures de boulot. J’ai multiplié les arrêts maladie, mais, à chaque fois, ils n’étaient pas suffisants pour me remettre d’aplomb. Mes proches me pressaient de quitter mon travail, mais je ne voulais rien voir. Je me mettais la pression, j’avais peur de partir, peur du « qu’en-dira-t’on ? », peur de ne pas avoir la force de trouver un autre travail ensuite. Peur de perdre ce statut et cette place que j’avais trouvés.

En deux ans, j’ai perdu environ 5 kilos. J’avais presque honte de montrer le haut de mon corps qui était devenu rachitique et sans formes. La maladie s’est marquée sur mon visage et je ne pouvais plus supporter de me regarder. Et pourtant, je suis restée. Inconsciemment, ce statut avait, à l’époque, plus d’importance que le reste.

Savoir prendre une décision

Il devient vital de réagir lorsque vos proches pointent du doigt que vous devriez peut-être quitter la structure dans laquelle vous êtes. Il faut savoir les écouter, mais aussi s’écouter soi-même et apprendre à regarder la vérité en face. Difficile à faire lorsque l’on est au fond du trou…

Cependant, ce n’est pas le fait qu’on me mette mon état en pleine face qui m’a décidé à quitter mon travail dont le rythme n’était pas fait pour moi. C’est l’amour. Cet amour m’a fait faire des choses et entrevoir des évidences qui ne me seraient pas venues à l’esprit. Il a été mon moteur. En quittant mon boulot, j’avais l’impression de me donner une raison légitime de le faire. Je le faisais pour quelqu’un et non pour moi. C’était une raison suffisante pour tout plaquer et c’est ce qui m’a donné le courage de le faire. Et pourtant, Dieu sait que mes proches, ma famille m’incitaient depuis longtemps à quitter mon boulot. Je m’obstinais. Mais, avec cet amour, j’ai souhaité me donner une nouvelle chance. J’ai trouvé du courage en moi, avec lui à mes côtés, pour partir. C’est une fois que je suis partie que j’ai réalisé mon erreur de ne pas l’avoir fait avant. Le verdict de mon état physique était accablant. Je n’ai réalisé qu’après que j’avais fait un burn-out. Il était arrivé très lentement et insidieusement.

Choisir son avenir

Cette expérience m’a changée. Je suis devenue plus exigeante, mais également craintive à l’idée de m’investir dans un travail qui pourrait me détruire à nouveau. J’ai changé mon regard sur le monde, j’ai appris à relativiser, et je ferai tout pour ne pas retomber dans cette spirale infernale. Grâce à cette expérience, je suis maintenant armée pour. Progressivement, j’apprends à me connaître et à découvrir mes réels besoins. J’ai décidé de quitter la course à la réussite sociale conventionnelle, et compte me donner les moyens de trouver un travail libérateur et non destructeur, avec le soutien de mon entourage qui est si crucial dans une reconversion professionnelle.

Et vous ?

Avez-vous fait l’expérience d’une période de surmenage ? Comment l’avez-vous vécu ?
Avez-vous surmonté ce moment difficile ou avez-vous succombé au burn-out ?




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One thought on “Le surmenage, notre prison des temps modernes

  1. Christel

    mars 21, 2018 at 10:43

    En effet surmenage, fatigue, sentiment de toujours travailler dans l’urgence et donc de travailler de façon moins qualitative. Pour moi le burn out c’est mon corps qui a lâché avant , je n’arrivais même plus à écrire une liste de courses, mon bras droit n’était que douleurs jour et nuit. Pour m’en sortir il m’a fallu une longue prise de conscience, du travail du développement personnel pour enfin découvrir qui je suis vraiment. Le yoga m’a sauvé aussi bien le corps que l’esprit, je me suis retrouvé petit à petit.
    Ce qui me fait peur aujourd’hui c’est de voir des enfants être déjà surchargé d’activités extra scolaires et pressés de tout faire vite par des parents eux-mêmes stressés. Ne reproduisons pas ce qui nous fait souffrir dans la cellule familiale. Laissons de la place à l’ennui, à la rêverie ..le comble du luxe de nos jours

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